Dans le temps de crise sociale et économique que nous traversons, le pessimisme fait florès. Il a certes matière à se nourrir ! L’expérience clinique nous montre toutefois comment cette sensibilité au négatif est accentuée si nous adoptons une lecture post-traumatique, craintive et accablée de la réalité.
En examinant le cœur de notre métier, à savoir la rencontre bienfaisante avec les vicissitudes, les soubresauts et les grandeurs de la psyché humaine, il apparaît que nous ne cessons, en soignant, d’inventer à plusieurs là où des mouvements chaotiques biologiques, psychiques et socio-culturels individuels négatifs sont à l’œuvre. Ce constat illustre à quel point innover et échanger sont deux sources primordiales qui irriguent notre exercice soignant. Le congrès de l’ARSPG cette année prend acte de ce constat et propose comme fil conducteur de résilience la déclinaison de cette dialectique créativité/partage. Trois axes de réflexion seront mis en exergue.
Le premier concerne l’écosystème dans lequel se meut le patient, particulièrement le rôle des aidants dans la prise en charge. Bien souvent en effet, pour appréhender les phénomènes pathologiques dont souffrent les patients, nous avons tendance à les isoler de leur contexte existentiel et relationnel immédiat. Si, dans l’aria nosographique et pédagogique, ce découpage se fonde sur une recherche d’objectivité, il a l’inconvénient d’isoler les symptômes de leurs interactions et du cadre socio-culturel et relationnel où ils s’expriment. En outre, cette approche ne permet pas d’appréhender le terreau existentiel au sein duquel s’exprime et va évoluer le patient au cours du traitement. Qu’il s’agisse de l’écoute des proches concernant leur compréhension de la situation, de leur expertise à avoir pu faire face aux manifestations cliniques, ou bien de leurs besoins d’information, il est évident que les proches constituent un gisement important d’information et de solutions pour le clinicien. La difficulté consiste à faire cohabiter la prise en compte de cet environnement avec les besoins spécifiques du patient dont la voix et les désirs doivent être prioritaires. Cette subtile dialectique entre symptômes, contexte de leur émergence, désirs du patient et soutien des proches est un gage de bonne prise en charge. Plus qu’additifs, ces domaines référentiels doivent être conçus sur un mode dynamique d’interactions. Telle sera la thématique de notre première session qui donnera la parole aux proches, aux pairs-aidants et aux soignants impliqués dans la prise en charge holistique des personnes souffrant de schizophrénie et de maladie d’Alzheimer.
Le deuxième axe concerne le savoir scientifique. Comme tout ce qui a trait au vivant, les connaissances scientifiques doivent se concevoir sur un mode évolutif et intégratif. Inévitablement, notamment en recherche fondamentale, il existe en science une simplification, presque une dénaturation du vivant afin de parvenir à l’étudier. Dans ce contexte, si le clinicien ne peut faire l’économie de se tenir informé de l’état actuel de la science, il doit aussi la considérer comme un ingrédient parmi d’autres dans la résolution des problématiques posées par la pathologie. Pour le clinicien comme pour le chercheur, l’acquisition de connaissances se conçoit ainsi autant en termes d’apprentissage de nouvelles informations que de conscience de leur inévitable obsolescence. Une publication récente parue dans la revue Molecular Psychiatry (The serotonin theory of depression : a systematic Prof. Charles-Siegfried PERETTI umbrella review par Moncrief J et al. en juillet 2022), remettant en question le rôle central de la sérotonine dans la dépression, est un des exemples où la science, comme par ailleurs la psychopathologie, se remet en question. Nouvelles données scientifiques et ruptures de paradigmes cohabitent ainsi de façon naturelle. Si l’applicabilité immédiate dans le champ clinique des données fondamentales est souvent difficile, il existe toutefois des acquis récents de la recherche qui peuvent alimenter la réflexion et les pratiques des cliniciens d’aujourd’hui. Les interventions de cliniciens chercheurs essayeront de rendre compréhensibles et fructueuses pour la pratique du soin les notions de connectivité fonctionnelle, d’activation de canaux ioniques et de neuroplasticité du cerveau lors de la grossesse.
Enfin, le troisième registre qui animera nos sessions concerne les conséquences de la fragilisation du tissu social avec son lot d’anxiété, de perte de repères et de recours grandissant à la médecine, en particulier la psychiatrie, par des populations en désarroi. L’expérience quotidienne de la pratique clinique, qu’elle soit hospitalière ou de ville, met en évidence un accroissement et une extensivité de la demande ou du recours au soin. Ce phénomène semble correspondre pour partie à une insatisfaction, une insécurité, à des changements rapides des modes d’interaction sociales. On observe notamment une attitude, en apparence paradoxale chez les patients, de demande augmentée d’attention et de temps en dépit (ou à cause) de leur conscience de la précarisation du soin. Les populations jeunes sont bien sûr très concernées par cet obscurcissement de l’horizon existentiel. Les populations d’âge moyen ne sont pas épargnées via la croissance des manifestations psychosomatiques. Des aménagements cognitifs spécifiques aux périodes d’insécurité et de crise se retrouvent dans les préoccupations des patients, de même que le recours aux conduites addictives avec ou sans substances. Ces orientations psychopathologiques sont intéressantes à identifier afin de comprendre leurs soubassements en lien avec une diminution de la cohésion sociale. Cliniciens et sociologues seront invités à partager avec nous leurs réflexions. Comme à l’accoutumée, les échanges entre orateurs et cliniciens auditeurs constitueront une part importante du contenu de cette journée de notre congrès de l’ARSPG que je vous souhaite instructif, confraternel et roboratif. Au plaisir de vous retrouver en juin.
Pr Charles-Siegfried PERETTI