LE congrès
arspg 2018
Psychiatrie et nouvelles technologies :
enjeux et perspectives
édito
Depuis Hippocrate avec la théorie des humeurs, la médecine oscille entre la compréhension du général, notamment par le truchement des classifications et de l’approche syndromique, et celle de l’ajustement au cas singulier compte tenu de la grande variabilité interindividuelle des patients. Dans le même esprit, Claude Bernard - dans sa magistrale et prémonitoire introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1) - sépare le médecin du physiologiste en indiquant que « le médecin n’est point le médecin des êtres vivants en général, pas même le médecin du genre humain, mais bien le médecin de l’individu humain, et de plus le médecin d’un individu dans certaines conditions morbides qui lui sont spéciales et qui constituent ce que l’on a appelé son idiosyncrasie ». Claude Bernard insiste aussi sur le fait que le médecin doit aller « encore plus loin dans l’étude des détails de ces conditions chez chaque individu considéré dans des circonstances morbides données. Ce ne sera donc qu’après être descendus aussi profondément que possible dans l’intimité des phénomènes vitaux à l’état normal et à l’état pathologique, que le physiologiste et le médecin pourront remonter à des généralités lumineuses et fécondes ». Dans une certaine mesure, la psychiatrie, si soucieuse du détail, du contexte, de l’histoire symptomatique et de l’expérience singulière du sujet souffrant est, dans cette acception, une des branches les plus accomplies de la médecine. Depuis toujours, l’ensemble de la médecine, psychiatrie comprise, s’est donc attachée à identifier des endophénotypes, c’est-à-dire définir, au sein d’une même entité morbide, des sous-groupes de patients qui semblent correspondre à des processus physio- et psycho-pathologiques communs. En psychiatrie, tant la psychanalyse que l’approche catégorielle ont eu le même souci : identifier des entités morbides plus fines que celles que l’apparence immédiate semblait qualifier. On citera à titre d’exemple, l’identification d’entités morbides telles que la « schizophrénie pseudo névrotique », la « structure psychotique » pour l’approche psychodynamique ou pour l’approche contemporaine les « bipolaires de type II », la « dépression atypique » ou les « deux syndromes de schizophrénie » chers au britannique Tim Crow (2). Chaque fois, le souci du clinicien a été de raffiner sa compréhension générale du trouble pour en distinguer des sous-variétés intrinsèquement homogènes, souvent à rebours de l’apparence immédiate. Ainsi, dans la forme « pseudo-névrotique de schizophrénie » l’apparence névrotique, souvent obsessionnelle, des manifestations cliniques devait-elle plier sous le joug primordial de la psychose à laquelle elle appartenait par nature. Pour le médecin, cette nature psychotique était donc celle qui devait guider son observation mais aussi sa thérapeutique. Les progrès de la biologie moléculaire, des technosciences, mais aussi des technologies a permis à la médecine contemporaine de définir de nouveaux paramètres permettant de segmenter les entités morbides, enrichissant ainsi le répertoire clinique et paraclinique. L’identification de biomarqueurs est ainsi devenue une modalité de segmentation pertinente d’entités syndromiques plus vastes. Un exemple parmi les plus spectaculaires de ces avancées est celui de la cancérologie qui identifie maintenant des biomarqueurs spécifiques permettant à deux individus présentant une tumeur identique en termes de nature, localisation, ou d’envahissement, de bénéficier d’un traitement spécifique et différent. La psychiatrie participe de ce mouvement dont on conçoit aisément qu’il ne se substitue pas aux précédents. Il s’y rajoute, rendant parfois caduques certaines segmentations, en créant de nouvelles, ou confortant et raffinant d’autres préexistantes. Le croisement des approches entre données biologiques et pratiques a permis ainsi de valider certaines pratiques comme, notamment, la psychothérapie lorsque sa méthodologie se prête à cet exercice. Cette approche combinatoire mixant clinique, biologie, imagerie, cognition et traitée selon des méthodologies statistiques spécifiques (Big data) est appelée psychiatrie de précision (3). Le territoire d’application des nouvelles technologies en psychiatrie est très vaste. Il comprend les nouvelles modalités techniques d’appréciation du fonctionnement biologique et physiologique grâce à la détection et l’enregistrement de données comme l’imagerie cérébrale, toute la série des « omics » (analyse exhaustive des molécules et des voies métaboliques impliquées dans les processus physiologiques, génomiques, métabolomiques, lipidomiques, ……). De nombreux travaux concernant la capacité de ces technologies d’identifier la variation dans le temps de ces paramètres (lors de l’exposition à des facteurs de stress, biorythmes, …) permettent d’indubitables avancées. Parmi les caractéristiques les plus intéressantes de ces approches, on signalera encore le développement de modèles mathématiques de traitement d’un nombre volumineux de données, mais aussi la nécessaire multidisciplinarité obligeant la coopération de spécialistes d’horizons divers (médecins, biologiques, physiciens, épidémiologistes, organisations non gouvernementales, statisticiens spécialisés dans la Bourse ou l’assurance, …), mais aussi issus de spécialités médicales différentes. D’autres changements de paradigmes sont associés à cette approche : les nouvelles technologies décloisonnent les champs et permettent des changements d’échelle. Une des conséquences dans notre discipline est que le cerveau est maintenant considéré non plus dans sa singularité, mais au sein du corps entier, soumis à des processus généraux tels que l’inflammation, l’immunité. A ce titre, les progrès faits dans certaines branches de la médecine (par exemple, les immunothérapies) pourraient avoir rapidement un impact sur le traitement des maladies mentales. Cependant l’avancée des technologies concerne aussi dans notre spécialité ses conséquences sur l’environnement extérieur au corps. il peut s’agir du développement d’outils de stimulation physique du SNC comme, notamment, la rTMS (repetitive Transcranial Magneticc Stimulation), tDCS (Stimulation transcrânienne par courant continu), alternatives aux médicaments, mais aussi le développement d’applications diagnostiques et thérapeutiques permettant d’identifier certains comportements ou états de l’humeur (notamment, des applications de type smartphone). les nouvelles technologies permettent aussi le développement de logiciels et d’outils informatiques simulant des conditions de vie (réalité virtuelle) au sein desquelles le patient peut être immergé. Tout progrès a ses dérives et ses dangers. Il en va de même en ce qui concerne la mise à disposition des nouvelles technologies en psychiatrie. Le danger concerne aussi bien les chercheurs, le clinicien que le patient. Il est capital de ne pas se laisser entraîner dans cet engouement technologique sans recul ni réflexion critique. Outre le danger de l’oubli de l’histoire des idées ou des fondamentaux de notre savoir, supplantés par une médecine exclusivement dépendante des technosciences ou des effets d’annonce, il existe celui intrinsèque aux technologies elles-mêmes. Comme toute modalité, elles possèdent leur iatrogénie, leurs dérives, leur hégémonie, leur tyrannie. Cette année encore notre congrès se veut à la fois à la pointe des avancées de notre discipline, à la fois critique vis-à-vis de leur triomphalisme et leur risque de deshumanisation. C’est pourquoi, toujours avec le même enthousiasme, nous privilégierons la rencontre, la capacité d’échange, de confraternité et de convivialité. A toutes et à tous, bon Congrès 2018 de la Psychiatrie dans tous ses états. Professeur Charles-Siegfried Peretti Président de l’ARSPG (1). Claude Bernard. "Introduction à l’étude de la médecine expérimentale." J. B. Baillière, 1865 (pp. 150-264). Chapitre premier, Troisième partie (2). T.J. Crow (1985). "The two syndrome concept: origins and current status". Schizophrenia Bulletin. 11 (3): 471–486 (3). Fernandes et al. "The new field of ‘precision psychiatry". BMC Medicine (2017) 15:80